"Un compte rendu de cet ordre devrait embrasser également l'évolution des conceptions relatives au crime politique et à l'asile politique, à la justiciabilité des actes politiques et des décisions politiques prises selon une procédure judiciaire ; il devrait inclure jusqu'à la question de fond, celle du procès en justice proprement dit, c'est-à-dire examiner dans quelle mesure la procédure judiciaire en tant que telle modifie à elle seule la matière de son objet en la faisant passer à un autre état."

Carl Schmitt, préface à La notion de politique (1963).

dimanche 23 février 2014

Plainte contre Fabius et crise syrienne


Un collectif d’avocats européens se rend en Syrie

Fabrice DELINDE, Pascal JUNOD, Bernard RIPERT et Damien VIGUIER, avocats signataires en mars 2013 d’un appel pour la paix en Syrie, avons répondu positivement à l’invitation qui s’en est suivie de la part notre confrère Monsieur le Bâtonnier de Damas Skaif NIZAR, et nous étions en Syrie du 6 au 13 Octobre.

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Nous ne sommes allés qu'à Damas, au centre-ville, avec une incursion dans un quartier qui venait de subir la chute d'une roquette faisant 11 morts. Mais la veille de notre départ nous avons été témoins d'un attentat à quelques mètres de notre hôtel. Il y a donc des explosions de temps en temps. Les habitants de Damas luttent en continuant de vivre comme si de rien n’était, même si c’est difficile.

Nous avons rencontré des familles en deuil, des militaires, des blessés; des écrivains, des journalistes; des confrères (avocats); des associations et des hommes politiques indépendants du parti BAAS, parti dont le Vice-Président nous a d’ailleurs reçus ; nous avons été reçus par le Président du Parlement, par le 1er ministre, par les ministres de la justice et de l'information. Unanimes tous déplorent la corruption de nos gouvernants, qui trahissent l'âme de la France. Ils distinguent toujours néanmoins entre la partie corrompue de notre classe politique et le reste de la population française. Ils disent et redisent que nombre de leurs agresseurs viennent d'Europe, et de France en particulier, et même de Suisse, et que ce qui leur arrive va nous arriver en retour.

La Syrie est depuis 1948 un pays en guerre avec son voisin Israélien. Mais la situation actuelle a explosé d'abord à cause du facteur démographique : 60% de la population a moins de 25 ans. La Syrie a cédé aux chants des sirènes d’un certain libéralisme, s'est rapprochée de l’Occident, décidant même d'adopter son modèle économique et institutionnel (multipartisme, élections, intégration des rouages institutionnels supra-étatiques régionaux et mondiaux). Aux récoltes locales, par exemple, ont été préférés les produits importés. A cela c'est ajouté plusieurs années difficiles pour l'agriculture. Puis il y a eu la crise financière de 2008. Bref, cela s’est traduit par un accroissement de la pauvreté dans les campagnes, provoquant un exode rural imprévu, allié à une montée (entretenue) du mécontentement. Et le pire obscurantisme, instillé depuis les monarchies du Golfe, a pu s'implanter parmi les laissés-pour-compte des banlieues et des campagnes.

Quelques manifestations artificiellement organisées, des provocations habilement orchestrées (tirer, et sur la foule, et sur la police) ont suffi pour mettre le feu aux poudres. Les médias, Al Jazira en tête, n'avaient plus qu'à inonder les ondes de prédications enflammées, et les services, qu'à livrer armes et cadres, pour transformer la Syrie en un enfer. Sont alors entrés en Syrie, depuis la Turquie et la Jordanie, en flots incessants, aujourd'hui encore, de jeunes décervelés et des repris de justice auxquels on fournit, pour ici-bas, des drogues (des substances insensibilisant es à la douleur subie ou causée), des armes, la possibilité de tout détruire, de piller et de commettre les pires atrocités, et, pour l'au-delà, s'ils trouvent la mort, la promesse d’un jardin de délices.

C'est cette politique dont nos médias sont les complices, parfois complaisamment involontaire certes, comme lorsqu'ils sont conduits par les "rebelles" à visiter des villages Syriens, toujours les mêmes, villages qui ne sont que le théâtre de mises en scènes dignes de Disney Land. Nos gouvernants sont d'autant mieux informés de ce drame qu'ils en sont les véritables commanditaires. Ils ont besoin de tenir les opinions publiques occidentales en laisse pour leur plan avoué et criminel de mise au pas par le chaos, commencé par la Yougoslavie, suivi de l'Irak, puis de l'Afghanistan, et de la Lybie. Ils avaient déjà prévu un sort semblable pour l'Iran, et l'on voit bien que ni la Russie (Tchétchénie), ni la Chine (Xinjiang, sans parler du Tibet, de la Corée du Nord, du Japon, des Philippines, etc.), ni même l'Inde ne sont plus à l'abri. L’Amérique latine, qui a subi, elle, ce sort, est en voie de révolte et d'organisation contre ce "désordre mondial".

Cette guerre est une guerre mondiale. Sur les ruines d'un ordre juridique international fondé sur l'idée de partage du monde entre une pluralité d'Etats, souverains par définition, dont tous étaient en Europe, rien de viable ne s'est encore construit. La guerre froide n'a été qu'un bras de fer entre deux mondialismes identiques en leur essence. L'hégémonie de l'un n'a pas apporté la paix mondiale. En Syrie se joue aujourd'hui la possibilité d'un nouvel ordre juridique international structuré par les relations entre plusieurs grandes puissances toutes également souveraines sur des régions délimitées du globe.

Il ne servait à rien de dénigrer les frontières et les guerres sur les champs de bataille, qui, pour horribles qu’elles étaient, avaient au moins le mérite de n'avoir lieu qu'entre militaires porteur d'uniforme, si c'était pour les remplacer par des opérations criminelles dirigées aveuglément contre les populations civiles (femmes et enfants, vieillards, blessés, malades, captifs) et personnellement contre les Souverains légitimes et légaux des pays qui résistent à l'idée d'une domination mondiale.

Notre responsabilité est donc maintenant de comprendre et d'informer.

15 octobre 2013

Au nom du droit

Une délégation d’avocats européens manifeste son soutien aux autorités syriennes

A l’heure où la nation syrienne court l’un des pires dangers de son histoire, et devant l’arrogante certitude avec laquelle certains politiciens sans scrupules, notamment français, bien plus que de simplement se mêler des affaires intérieures syriennes, croient pouvoir se permettre, au nom du Droit, de frapper les dirigeants légitimes syriens d’excommunication, de délier la population syrienne de son devoir d’obéissance, et de lancer des appels à l’insurrection, une délégation d’avocats, représentants des derniers membres d’une science du droit libre, a décidé de sauver l’honneur de l’esprit européen en se rendant en Syrie, afin, au nom des principes les plus élémentaires du droit des gens, d’une part, de dire sa reconnaissance et son soutien inconditionnel au Souverain syrien, le Président Bachar Al-Assad, ultime garant de ce que son peuple n’est pas précipité dans une guerre de tous contre tous, et qui, unique légitime responsable de la conduite des opérations qui mettront un terme aux troubles intérieurs à la Syrie, qui y rétabliront l’ordre, la sécurité et la tranquillité, n’a ici-bas de comptes à rendre à personne, et ne saurait être jugé par personne, et aussi, s’adressant toujours à lui, de dire à son peuple toute son amitié et de l’encourager dans l’épreuve qu’il traverse, et, d’autre part, de condamner solennellement comme coupables des pires atrocités qui peuvent se commettre en Syrie, tous ceux qui, depuis l’extérieur, en Europe ou ailleurs, usurpent le nom d’humanité, mènent une propagande d’agitation et de provocation, et ne sont que les vulgaires complices des voyous sans scrupules qui sévissent à l’intérieur de la Syrie.

A Paris, le 16 Décembre 2012.

samedi 22 février 2014

Call for peace in Syria

March 13, 2013


For almost 2 years Western media and governments have been leveling a flurry of accusations against the legal and legitimate head of the Syrian state, against his government and against Syria's military. They try to make appear the victim as the perpetrator, as they did in Libya and in other free and independent countries. Indeed armed groups, some more organized than others, some coming from abroad are spreading terror in Syria. It is therefore normal for the legitimate regime of Syria to send in the police and the military to fight the uprising. According to the most basic legal principles - principles that ensure peace among nations - governments have the duty to protect the people from domestic and foreign attacks. Ensuring law and order is a government's main duty. What would our governments do if part of the population uprose to overthrow them with the help of foreign mercenaries? Wouldn't they send in the police and the military? Would they step down without batting an eyelid as they are asking the legitimate Syrian government to do?

 

The truth is that, not only there is an aggression against Syria, but there is also an organized propaganda campaign orchestrated at the international level, aimed at misleading the public and stirring trouble. Some footage of the so-called repression from the Syrian army was not even shot in Syria. The aim of this propaganda campaign that blatantly flouts international law is to egg on the uprising, to fuel the civil war and to deny the regime its legitimacy by demonizing it.  Those who are orchestrating this campaign are judges and executioners.


Indeed the same countries, their servants and their allies (such as Qatar and Saudi Arabia, which are cruel and intolerant toward their own people) are on the one hand presenting themselves as the judges of the Syrian Government and the Syrian Army and on the other hand they support, bankroll and give weapons to mercenaries, who are often foreign, who inflict destruction and violence upon Syrian civilians. It is these mercenaries that the Syrian military is fighting. The real criminals are Western governments and their servants: Qatar and Saudi Arabia. They triggered that fratricidal war and they have been fueling it since the very beginning. If it hadn't been for their support to the rebels and mercenaries, order would have been restored in Syria a long time ago and the Western media wouldn't be able to carry out that propaganda campaign.

Western governments took advantage of the wind of revolt that was sweeping some Muslim countries to spark off armed rebellions in other countries whose leaders they disliked because they were not bowing and scraping to them. Western governments along with subservient media outlets are well intent on taking advantage of the situations they have created to speak out against the legitimate governments of those countries, to discredit them and finally attack them militarily. They have no qualms resorting to lies and falsehoods. They systematically hold the governments in power and their armies responsible for the atrocities committed by foreign aggressors themselves.

Whether it is out of ignorance, cowardice or lack of morals, politicians, journalists, intellectuals, and jurists in Europe, in the Middle East and in other places are part of that propaganda campaign with the blessing of the United states. They all believe they can speak in the name of righteousness and the fight of good against evil.


They are wrong. The signatories of this petition are lawyers from different countries, who don't want to interfere in Syria's domestic affairs. They just want to say in the name of Reason and Dignity that the tactics used against Syria outrages them. We support the Syrian government in its just struggle against a domestic and foreign aggression. We condemn all forms of support from abroad to these good-for-nothings who spread terror and death, who are presented by the West as « the free Syrian army ». We pledge to do our utmost to help the Syrian government defend its legitimacy and authority and to bring the truth on this aggression to light. The sole victim of this aggression is the Syrian people. As in Iraq, Afghanistan and Libya Western imperialism shamelessly denounces the suffering it has caused in the first place.

 

 

List of signatory

Up to this day, 19 lawyers from 7 Western countries have signed the petition.

 

Bruno BARDECHE, lawyer member of the Bar of Paris, André CHAMY, lawyer member of the Bar of Mulhouse, Fabrice DELINDE, lawyer member of the Bar of des Hauts de Seine, Eric DELCROIX, former lawyer member of the Bar of Paris, Pascal JUNOD, lawyer member of the Bar of Geneva, Henri LAQUAY lawyer member of the Bar of Brussels, Philippe MISSAMOU, lawyer member of the Bar of Hauts de Seine, Bernard RIPERT, lawyer member of the Bar of Grenoble, Stefano SUTTI, lawyer member of the Bar of Milan, Damien VIGUIER, lawyer member of the Bar of Ain.

 

Philippe EHRENSTROEM, lawyer member of the Bar of Genève, Claude LAPORTE, lawyer member of the Bar of Genève, Haig Der MANUELIAN, lawyer member of the Boston Bar Association, Patrick MARICOT, lawyer member of the Bar of Brussels, Mohamed Othman SBAOUELGI, lawyer member of the Bar of Tunis, Pierre SCHIFFERLI, lawyer member of the Bar of Geneva, Isabelle SIDOS BREDY, lawyer member of the Bar of Paris, John PHILPOT, lawyer member of the Bar of Montréal, Eric VUYLSTEKE, honorary lawyer of the Bar of Brussels.

 

 

To sign the petition follow this link: http://www.petitions24.net/appel_pour_la_paix_en_syrie

To contact us by email: appeldu1ermars2013@outlook.com

vendredi 21 février 2014

Commandant Ilich RAMIREZ SANCHEZ alias Carlos


 
Né le 12 octobre 1949 à Caracas, Ilich RAMIREZ SANCHEZ est le fils d’un célèbre avocat communiste vénézuélien. Immergé depuis la petite enfance dans la lutte révolutionnaire et les intrigues politiques, à l’adolescence déjà responsable de l’organisation et de la direction des jeunesses communistes au centre de Caracas, c’est en 1970, après des études supérieures à Londres et à Moscou, qu’il rejoint les fédayins palestiniens en Jordanie. Alors âgé de 21 ans, il intègre à Amman un camp d’entraînement militaire du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), organisation dirigée par le Docteur Georges HABACHE.

 

Il participe alors aux combats dits de Septembre noir. Le roi Hussein, qui veut de sauver son régime, lance ses armées sur les camps de réfugiés palestiniens. Il est, avec Yasser ARAFAT, l’un des survivants.

 

A l’âge de 24 ans il est responsable, sous le nom de Carlos, des opérations militaires du FPLP en Europe. On lui prête depuis cette date de multiples attentats, il reste insaisissable, mais c’est lui qui, le 13 janvier 1975, à l’aéroport d’Orly, organise une attaque au lance-roquettes sur un avion de El Al (compagnie nationale israélienne), c’est avec lui que des hommes reviennent sur les lieux six jours plus tard, lancent une attaque depuis la terrasse de l’aéroport, prennent des otages, demandent et obtiennent un avion pour Bagdad, c’est encore lui, la même année, le 27 juin, rue Toullier à Paris, qui échappe à un piège du Massad, en laissant sur place trois morts, dont deux policiers, et un blessé, et c’est lui encore, le 21 décembre, toujours la même année, à Vienne en Autriche, qui, à la tête de ses commandos, dirige la prise d’otage de onze des ministres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), obtient un avion et s’envole vers l’Algérie avec 42 otages à bord. Pour les années soixante-dix et jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, selon les uns Carlos est l’ennemi international public numéro 1, mais, pour les autres, il est un héros de la lutte révolutionnaire et de la Résistance palestinienne.

 

Le bloc de l’Est s’effondre. Livré par le Gouvernement Soudanais, il est « interpellé » par la police française le 15 août 1995, sur le tarmac de l’aéroport de Villacoublay. Il a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Sur dix sept ans d’emprisonnement il a totalisé dix ans à l’isolement (arrêté après décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme).

 

En 2003 il publie L’Islam révolutionnaire. Pour les élections européennes de 2009 il apporte son soutient à la liste antisioniste conduite par Dieudonné et Alain Soral. Joint au téléphone en plein meeting, il dénonce ce qu’il considère comme la barbarie israélienne envers les palestiniens. Dieudonné est Président d’honneur du Comité pour la Libération de Carlos.

 

Le lundi 7 novembre débute à Paris, devant une Cour d’Assises « spéciale » (sans jurés populaires), un procès qui doit durer quarante-cinq jours et au terme duquel il sera condamné de nouveau à perpétuité pour des faits vieux de plus d’un quart de siècle.

Mes Conclusions pour le prochain Procès du Commandant Carlos

Lundi 7 novembre s’ouvre au Palais de Justice de Paris le procès du célèbre « terroriste » vénézuélien Carlos (Ilich Ramirez Sanchez). Il aura lieu devant une Cour d’Assises « spéciale » (sans jurés populaires), jusqu’au vendredi 16 décembre. Le combattant palestinien, l’homme de la prise en otage de onze ministres des pays de l’OPEP en 1975 à Vienne, la bête noire des pays de l’Ouest, est jugé pour des faits vieux de plus d’un quart de siècle, 17 ans et 85 jours après avoir été trahi et livré aux services français par le Gouvernement Soudanais.

Mon impression, c'est que la Justice et le Droit n'ont rien à voir dans cette affaire. Il s’agit d’une guerre. Les services français, aux ordres, ont enlevé un responsable politique, et maintenant ils attendent le paiement d'une rançon. C'est le sens de ce procès et du défilé des victimes qu'on nous prépare.

La grande tradition du droit de la guerre est bafouée. Ilich Ramirez est un combattant, du camp adverse de celui pour lequel travaillent les services français. C'est donc en vérité un prisonnier de guerre, et son statut n'est pas respecté puisqu'on l'accuse de crimes de droit commun. Pour n'importe lesquels des actes qu'il aurait commis, il jouit non seulement de l'immunité du combattant, mais même, s'il était jugé par son propre camp, il serait justifié par les lois et coutumes de la guerre.

Au XXeme siècle ces lois et coutumes ont changé. Au lieu de se mener au grand jour et dans le respect mutuel, les guerres ont glissé, depuis 1917 environ, dans l'horreur de guerres discriminatoires, où plus aucun camp n'a de respect pour les civils, et où chacun lance des anathèmes et traite le parti adverse de criminel.

Ilich Ramirez, combattant héroïque de la lutte des palestiniens contre l'impérialisme yankee et sioniste, n'est pas responsable de l'horrible évolution qui a conduit à la situation actuelle, où pour exister politiquement, c'est-à-dire pour exister tout court, vous devez, contre la supériorité technique du capitalisme apatride, recourir à la lutte clandestine.

Du reste, le camp sioniste a eu recours à ce type de lutte par le passé, sans lésiner sur les victimes civiles innocentes, en Palestine de 1935 à 1948, ou précisément en France même, de 1942 à 1944. Dans ce dernier cas, les services français s'enorgueillissent du terrorisme pratiqué, sous le nom de Résistance. Ils sont donc mal placés dans ce rôle du bourreau qu'aujourd'hui ils tiennent, qu'ils ont accusé les allemands et le régime de Vichy d'avoir tenu.

Il faut sortir du cycle infernal. Que les Yankees rentrent chez eux, en Amérique du Nord, nouvel Israël, et qu'à l'avenir la guerre redevienne une noble activité. C'est tout ce qu'il faut souhaiter.

Une délégation d'avocats européens en Syrie


Appel pour la paix en Syrie

9 Mars 2013

Voici bientôt deux ans que les pouvoirs publics et les médias occidentaux dirigent un concert d’accusations contre le Chef légal et légitime de l’Etat syrien, contre son gouvernement et contre l’armée de son pays. Ils cherchent ainsi à faire passer la victime pour le coupable, comme ils l’ont fait en Libye, comme il l’avaient fait précédemment pour d’autres Etats libres et indépendants. Car des bandes armées illégales, plus ou moins organisées, venues pour certaines de l’étranger, sèment la terreur en Syrie. Quoi de plus normal, pour le régime légal d’un pays, que de combattre une rébellion avec sa police et son armée ? Au regard des principes élémentaires du droit public, seuls garants d’une paix relative entre les nations, ceux qui sont à la tête d’un Etat n’ont-ils pas précisément pour premier devoir de protéger leur population des agressions intérieures et extérieures ? Le maintien de l’ordre n’est-il pas la première mission de l’Etat ? Que feraient les gouvernements de nos pays, si une partie de leur population prenaient les armes pour combattre leur gouvernement légitime avec l’aide de pays et de mercenaires étrangers ? Ne feraient-ils pas intervenir leur police et leur armée ? Et démissionneraient-ils sans rien dire comme ils le demandent au gouvernement légitime syrien ?
En vérité la Syrie n’est pas seulement victime d’une agression armée, mais également, de manière évidemment concertée, sur la scène internationale, d’une vaste opération de propagande médiatique d’agitation, de désinformation systématique (certaines images sur la prétendue répression de l’armée régulière n’étant même pas prises en Syrie) et de provocation. Le but de cette propagande est, au mépris le plus éclatant du droit international, d’encourager l’insurrection, de nourrir une guerre civile, de dénier, par la diabolisation, toute légitimité au pouvoir légal, et de se poser en juge et en bourreau.
Car ce sont bien les mêmes Etats, leurs serviteurs et leurs alliés (comme les régimes de l’Arabie Saoudite et du Qatar, monarchies absolutistes, sanguinaires et intolérants pour leurs propres populations autochtones), qui d’un côté se posent en Juges du gouvernement syrien et de l’armée régulière syrienne, et qui de l’autre encouragent, financent et arment les mercenaires, souvent étrangers, qui se livrent aux destructions et aux violences contre la population civile et contre lesquels lutte l’armée régulière syrienne. Les vrais criminels sont ainsi ces gouvernements occidentaux et leurs fantoches d’Arabie Saoudite et du Qatar. Ils ont déclenché, entretiennent et perpétuent cette guerre fratricide. Sans leur intervention et leur aide aux groupes rebelles et mercenaires il y a longtemps que l’ordre aurait été rétabli en Syrie et que les médias occidentaux ne pourraient plus se livrer à leur propagande et à son macabre décompte quotidien.
Les pouvoirs occidentaux ont profité des vents de révolte qui soufflaient dans certains pays musulmans pour provoquer une rébellion armée dans d’autres pays dont les dirigeants avaient le seul tort de leur déplaire politiquement pour n’être pas leurs obligés. Ces gouvernements occidentaux, avec certains médias serviles, entendent profiter des situations conflictuelles et difficiles qu’ils ont générées, pour dénoncer les pouvoirs légitimes de ces pays, les discréditer et finalement les combattre militairement. Ils n’hésitent pas pour cela à utiliser le mensonge et la désinformation, rendant systématiquement les pouvoirs en place et leur armée responsables d’exactions commises par les agresseurs extérieurs eux-mêmes.
Ignorants, lâches ou sans scrupules, participent de cette propagande insidieuse, en Europe, au Moyen-Orient et ailleurs, sous la bienveillante attention des Etats-Unis, des politiciens, des journalistes, des intellectuels, des juristes, tous croyant pouvoir impunément parler au nom du bon droit et du combat du Bien contre le Mal, avec l’arrogante certitude de l’unanimité.
Certitude erronée. Les signataires de la présente, avocats de différentes nationalités, ne prétendent pas s’immiscer dans les affaires intérieures syriennes, mais entendent exprimer, au nom de la seule raison et de l’honneur de l’esprit humain, leur honte et leur réprobation de tels procédés. Nous apportons notre soutien au gouvernement syrien dans sa juste lutte contre l’agression intérieure et extérieure dont il est victime. Nous dénonçons toutes les aides et soutiens extérieurs à ces vauriens, semeurs de troubles et de morts que l’Occident nous présente comme « armée syrienne libre ». Nous nous engageons à tout mettre en œuvre pour aider le gouvernement Syrien à défendre la légitimité de son autorité et à faire la vérité sur cette vaste agression dont la seule victime est son peuple dont, comme il l’a fait précédemment en Irak, en Afghanistan, en Lybie, l’impérialisme occidental ose dénoncer la souffrance alors que c’est lui qui en est la cause.

 

Signataires

A ce jour l’appel a été signé par 23 avocats de 8 pays occidentaux.

Bruno BARDECHE, avocat au Barreau de Paris, André CHAMY, avocat au Barreau de Mulhouse, Fabrice DELINDE, avocat au Barreau des Hauts de Seine, Eric DELCROIX, ancien avocat au Barreau de Paris, Pascal JUNOD, avocat au Barreau de Genève, Henri LAQUAY, avocat au Barreau de Bruxelles, Philippe MISSAMOU, avocat au Barreau des Hauts de Seine, Bernard RIPERT, avocat au Barreau de Grenoble, Stefano SUTTI, avocat au Barreau de Milan, Damien VIGUIER, avocat au Barreau de l’Ain.

Philippe EHRENSTROEM, avocat au Barreau de Genève, Claude LAPORTE, avocat au Barreau de Genève, Haig Der MANUELIAN, avocat au Barreau de Boston, Patrick MARICOT, avocat au Barreau de Bruxelles, Mohamed Othman SBAOUELGI, avocat au Barreau de Tunis, Pierre SCHIFFERLI, avocat au Barreau de Genève, Isabelle SIDOS BREDY, avocat au Barreau de Paris, Martine STENNLER, avocat au Barreau de Paris, John PHILPOT, avocat au Barreau de Montréal, Eric VUYLSTEKE, avocat honoraire au Barreau de Bruxelles.

Alexander CARMICHEAL, avocat au Barreau de New Jersey, William JOHNSON, avocat au Barreau de Californie, Erik NORLING, avocat au Barreau de Malaga.

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Pour signer la pétition issue de l'appel : http://www.petitions24.net/appel_pour_la_paix_en_syrie

Entretien pour ERTV, à Paris le 13 février 2014, au sujet des évènements de Syrie et de leurs liens avec la France.


mercredi 19 février 2014

Dépôt de plainte contre Laurent Fabius


Les usages de la qualification de crime de guerre dans le contexte syrien

La question se pose de savoir si l’on peut, pour qualifier les crimes et délits commis en Syrie par les prétendus rebelles et leurs complices, parler de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité.


La plainte déposée le 27 novembre contre Laurent Fabius par Mme Al-Kassem et MM. Al-Ibrahim et Salim écarte résolument une telle qualification. De ces notions, par ailleurs, les ennemis (non-officiellement déclarés comme tels) de la Syrie se servent à l’encontre du chef de l’État syrien. Encore tout récemment, le 2 décembre 2013, un haut commissaire de l’ONU a parlé de cela.
Malheureusement, toutes ces notions sont devenues difficiles à distinguer, et, dans le contexte actuel, extrêmement dangereuses à manipuler. Les qualifications de crime de guerre, de crime contre l’humanité et de crime contre la paix sont devenues ce que nous appellerons des armes de destruction psychologique massive. Si l’on veut y voir un peu plus clair, il est impératif de commencer par clairement distinguer ce qu’étaient ces notions dans le cadre du droit international européen classique, grosso modo depuis la Renaissance jusqu’en 1917, ce qui nous permettra, dans un second temps, de comprendre ce qu’elle sont devenues, avant que d’envisager enfin l’usage qui en est fait dans le cas syrien.

Le crime de guerre du XVIème au XIXème siècles
Il convient traditionnellement de distinguer le jus ad bellum (le droit de faire la guerre) du jus in bello (les lois et coutumes applicables dans la manière dont on fait la guerre). Sortie d’antiques et venimeuses querelles sur la guerre juste, la doctrine juridique européenne avait fini par réserver le jus belli (le droit de faire la guerre) à l’État, c’est-à-dire au souverain (cf. Bodin, Grotius, Pufendorf). Était juste, à l’exclusion de toute autre, la guerre qu’un État déclarait à un autre État.
La difficulté demeurait, au sein même de cet ordre international (sans donc parler du danger né de la présence, latente puis offensive, d’un potentiel retour au désordre international) de désigner et de reconnaître le souverain, particulièrement en cas de guerre civile conduisant à une scission, l’institution de la reconnaissance d’un nouvel État, par un État neutre, parfaitement tiers au conflit, visant à sortir de ce genre de crise. Difficulté, de même, pour les conflits coloniaux, seules les nations parties au concert européen pouvant à l’époque prétendre à un État.
Ceci étant noté, dans le cadre de ce jus belli étatique, toutes actions hostiles qui ne pouvaient se prétendre du commandement de l’autorité légitime relevaient donc du brigandage et de la police intérieure de l’un ou l’autre État belligérant. Toute armée qui ne relevait pas d’un État versait dans l’illégalité.
C’est ainsi que se trouvait enfin réglée la grande question du jus in bello. Depuis les Grecs, depuis Antigone, qui malgré la guerre voulait accomplir les rites sacrés sur le cadavre de son frère et qui bravait l’ordre de Créon de le laisser en pâture aux chiens et aux rapaces, l’Europe cherchait à limiter l’horreur de la guerre, à en protéger les populations civiles d’abord, les enfants, les femmes, les vieillards ; elle cherchait même, ensuite, à relativiser l’hostilité en épargnant le militaire prisonnier, blessé ou malade, qui a cessé de combattre.
Le droit classique parvint à instituer ces principes sous l’appellation de « Lois et coutumes de la guerre ». Et avec la notion de crime de guerre, il parvint à soumettre le militaire, combattant régulier, à une discipline et à un droit pénal inflexible lorsqu’il s’écartait du commandement reçu et violait ces lois et coutumes de la guerre.

Subversion du jus ad bellum et du jus in bello au XXème siècle
Au sortir de la Première Guerre mondiale, les catégories classiques se sont trouvées complétement subverties. Le jus ad bellum, pour commencer, a disparu. La guerre en dentelle a pu faire rêver d’un monde d’où toute hostilité serait bannie. Alors même qu’à partir de 1917 l’entrée des États-Unis d’Amérique sur la scène du Vieux Monde en avait accru démesurément l’horreur, on mit hors la loi la guerre déclarée, la guerre selon les formes classiques du droit européen (pacte Briand-Kellogg, 1928). La guerre que déclarait un État devint un crime contre la paix, rendant le coupable et son gouvernement outlaws.
Cela ne fit bien évidemment pas disparaître du monde l’effectivité de la guerre, non plus que sa nécessité. Cela n’interdisait pas un autre type de guerre, sans limite celui-ci, d’essence révolutionnaire, dirigé directement contre les populations et destiné à anéantir la puissance ennemie : choses que le jus in bello classique prohibait strictement. Cela n’interdisait pas non plus la guerre économique, dont la population civile est la première à souffrir. Mais toute réaction de défense contre de telles agressions était destinée à être interprétée comme un crime contre la paix.
Pis, dans ce nouveau contexte international dont nous ne sommes toujours pas sortis, la notion de crime de guerre, détournée de son usage normal, a connu un destin tragique. En cas de guerre conventionnelle selon la tradition du droit international classique, c’est un instrument essentiel à la discipline des armées, pour la protection des civils. Mais dans le contexte de guerres qui ne disent pas leur nom et de gouvernement par le chaos, la catégorie devient des plus meurtrières, puisqu’elle est retournée contre une armée par un agresseur qui soulève précisément la population contre elle. D’instrument de discipline interne à chacun des belligérants, elle sert alors à incriminer l’appareil militaire de la puissance ennemie contre laquelle la population est excitée à se soulever sous l’action du terrorisme.
Le stade final de ce processus véritablement odieux consiste à entrer dans une guerre totale, avec soulèvement de la population, mais simultanément bombardements massifs des villes, destruction de l’infrastructure économique, déplacements en masses et pour finir arrestation et inculpation pour crime de guerre des membres de l’État et de l’armée, sans que de telles exactions ne puissent être même moralement répréhensibles, puisqu’elles ne portent pas le nom de guerre, mais sont commises au nom de la nécessité pour l’ordre et la paix mondiale de laisser passer la justice et le droit.

Usage des catégories dans le contexte syrien
L’État qui subit une telle agression totale, s’il demeure loyal dans son application du droit classique, cherche à maintenir la discipline au sein de ses rangs et à rétablir l’ordre à l’intérieur de ses frontières. Il peut continuer à sanctionner les militaires qui commettraient des infractions. Il n’a pas besoin pour cela d’une catégorie de crime de guerre. Il peut aussi user du droit pénal le plus commun contre les civils, qui, sans visée politique, profiteraient du désordre créé par l’ennemi (crime de droit commun commis en temps de « guerre » civile, à ne pas confondre avec le crime de guerre).
Mais qu’en est-il, même si la frontière est souvent délicate à tracer d’avec cette dernière catégorie, de la sanction de ceux qui sévissent de manière ignoble, par le terrorisme, semant la mort et le chaos ? Qu’en est-il de leurs complices plus ou moins haut placés, présents à l’extérieur ? Qu’en est-il de ceux qui, cyniquement, ont subverti l’ordre classique qu’avait pu trouver le droit international, et qui le retournent contre lui ?
Il serait périlleux de retourner à nouveau l’arme juridique de la qualification de crime de guerre contre ceux qui l’ont déjà déformée et détournée. Car le crime de guerre stricto sensu (la violation des lois et coutumes de la guerre) ne peut jamais, comme jadis, qu’être utilisé pour incriminer les actes d’un membre d’une armée régulière, relevant donc d’un État. Il n’y aurait pas de sens à parler d’un crime de guerre commis par un simple particulier. S’il y a criminel de guerre, c’est que l’on suppose une armée et un État auxquels il appartient.
Parler de crime de guerre pour des actes commis par des terroristes et par des agents qui n’apparaissent jamais frontalement en tant que belligérants, ce serait leur supposer la qualité d’armée régulière, de combattants qui relèvent d’un État. Or, dans un contexte de guerre subversive, ce serait faire le jeu des agresseurs réels, qui précisément détournent aussi cette autre institution du droit classique qu’est la reconnaissance par les neutres, eux qui ne sont pas neutres, par de grossières manœuvres de reconnaissance d’un gouvernement en exil ou d’un prétendu commandement rebelle.
Dans le contexte d’une agression sans limite, l’État ne doit pas user de la notion de crime de guerre. Au demeurant il n’en a pas besoin. Contre ceux qui sévissent à l’intérieur, il dispose de son propre droit pénal. Et contre les complices présents à l’extérieur, il n’a d’autre moyen que l’appel à une restauration de l’ordre international.
5 décembre 2013

Ilich Ramírez Sánchez, dit "Carlos"

 

A quelques jours d’un procès qui débute le 7 novembre, tandis que la télévision française diffuse une fiction sur Carlos "le terroriste", l’homme Ilich Ramirez Sanchez, victime du harcèlement sournois d’une administration qui le veut a genoux, est depuis mardi 18 octobre en quartier d’isolement a La Santé, punis pour des contacts avec la Presse, et en grève de la faim.
Interview de Maître Damien Viguier, avocat – docteur en droit, défenseur de Carlos, par J.-L. Duvigneau, fondateur du Centre Bolivarien de Documentation et Analyse Stratégiques (CBDAE), venezuelien.
CBDAE : Mon cher Maître, vous avez le privilège, historique peut-on dire, de défendre Carlos…. , l’homme qui aujourd’hui est présenté à « l’opinion internationale » comme le symbole même du terrorisme. Voilà certes un bien grand mot lâché ! Qu’est-ce que le terrorisme ? Selon notre définition, c’est un acte de guerre psychologique, destiné à frapper les populations civiles, les attaques contre des forces armées d’occupation étant des actes de résistance. Nous n’allons pas ici entrer dans les détails, comme nous le faisons dans les études et analyses de CBDAE, mais c’est là un point essentiel. Frapper, pour les terroriser, des populations civiles est un acte de terrorisme. Placer une bombe dans une gare ou sur un marché, déverser des tonnes de bombes incendiaires sur un centre urbain sont des actes terroristes qui ne se différencient que par le volume de meurtre et de destruction. Carlos n’a jamais été pilote dans une escadrille de bombardement, et nous savons fort bien quels pays ont, au cours de l’histoire, eu recours et systématisé ce genre de stratégie ; a-t-il par contre commis des attentats tuant délibérément des civils innocents. Pour résumer la question, Carlos a-t-il du sang d’innocents sur les mains ?
Me Viguier : C’est à lui qu’il faut poser cette dernière question. Personnellement, mais je réponds pour moi, non pour lui, je crois qu’il n’est pas ici-bas de sang innocent, sans entrer dans des subtilités théologiques qui n’ont plus cours aujourd’hui. Mais encore une fois, ce ne sont pas mes mains, mais les siennes, et je n’ai pas à répondre à sa place.
Quoi qu’il en soit j’ai pris sa défense, en effet, mais je ne le tiens pas pour un privilège. Ou alors il faut donner à ce terme son sens originaire, féodal, de charge et de mission. Sinon, pour revenir sur votre question, c’est Carlos qui a dit quelque chose comme « la terreur est l’essence de la guerre ». Il faut se méfier de la distinction entre terrorisme et résistance, elle sert à criminaliser les uns et à béatifier les autres, en fonction du parti pris.
CBDAE : Derrière l’homme déjà entré dans la légende – on lui a déjà consacré une production cinématographique – pouvez-vous, vous qui avez le privilège de le connaître personnellement, nous décrire « l’homme Carlos » ?
Me Viguier : Là c’est vrai, au sens commun, je l’avoue, je suis un privilégié. Carlos, mais je préférerais dire Ilich, si vous permettez, est un véritable homme politique, au sens noble, c’est même un homme d’Etat. Le contexte historique l’a jeté dans la lutte clandestine, c’est en grande partie un combattant de l’ombre, mais c’est un vrai chef de guerre, animé d’une passion et d’un don pour la haute politique. Je crois qu’il tient ça de famille.
Je vais même vous faire une confidence. J’étais déjà allé en prison, et j’en avais conservé une très désagréable impression. Mais là, la première fois que je lui ai rendu visite, j’avais le sentiment de rendre visite à un seigneur. Les gardiens m’apparaissaient non pas là pour l’emprisonner, mais pour le protéger, comme une sorte de sécurité rapprochée. Et la prison de Poissy, cette vieille belle prison, m’apparut telle un Palais.
CBDAE : On parle notamment de sa conversion à l’Islam. Savez-vous quels ont été les motifs, les circonstances de cette décision ?
Me Viguier : Avez-vous lu son beau livre, L’islam révolutionnaire ? Il y raconte sa conversion. Comment, lors d’une « veillée d’arme » avant d’affronter la mort, ses fédayines lui ont demandé de se convertir. C’était une conversion un peu à la légère. Il a alors prononcé la formule sacrée qui fait de vous un muslim. J’ai moi-même prononcé cette profession de foi, en arabe. Je crois qu’ensuite il a pratiqué, et appris à prier grâce à son épouse palestinienne. On dit qu’en prison il a approfondi son Islam. De cela nous ne parlons pas et je n’ai rien à en dire. Dieu est Grand.
CBDAE : Comment vit-il ? Quelles sont les conditions de sa détention ? Nous avons notamment reçu, il y a quelque temps, un rapport sur des sévices corporels qui lui auraient été infligés lors d’un transfert ?
Me Viguier : Il a été effectivement brutalisé, en particulier par un lâche qui le bourrait de coups en lui murmurant « Obama ! Obama ! » L’enfermement, lorsqu’il n’est pas choisi, comme c’est le cas dans le monachisme chrétien, en particulier chez les Bénédictins, est une mauvaise chose. La prison est une des institutions les plus dégénérées et les plus pernicieuses de notre vieil Occident malade. Tout le monde sait que la prison est « criminogène ».
Lui a particulièrement souffert puisqu’il a été à l’isolement total dix ans. Je vous rappelle qu’il totalise dix sept ans d’enfermement. A ce régime-là l’être humain ordinaire devient fou. Lui s’en sort. Il dit même que nous avons fait de lui un ascète involontaire.
CBDAE : Il aurait donc vécu au Soudan dont le gouvernement l’aurait livré aux ’’autorités’’ (notez bien les guillemets !) françaises, notamment sur la demande de Charles Pasqua. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur cette affaire, et notamment sur le procès que Carlos a intenté à ce dernier ?
Me Viguier : Le Gouvernement Soudanais a trahi Ilich. Ils l’ont livré aux services français, alors dirigés par l’inénarrable Charles Pasqua. Je ne peux en dire beaucoup plus. Au-dessus de Pasqua il y avait des donneurs d’ordre. Pour l’anecdote, certains des agents soudanais qui devaient exécuter l’ordre de l’arrêter étaient en larmes. Tous baissaient les yeux. Il m’a parlé de ce moment.
CBDAE : Il est dit que dans le présent procès, foisonnent les irrégularités, les entorses au Droit. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Me Viguier : Je dis que le seul fait d’entamer un procès contre quelqu’un comme Ilich est une entorse au Droit. J’entends le Droit qui est au-dessus de ce droit fait de décisions judiciaires, de lois et de règles qui ne sont qu’entorses dont nous autres, juristes scientifiques, sommes coutumiers. La France, je parle de ce que je connais, traverse une phase de véritable barbarie juridique. Alors... la violation de la prescription, l’instruction à charge (vous savez qu’en principe le juge d’instruction recherche la vérité, pas à accuser, ce qui est le rôle du procureur), les réquisitoires et les ordonnances fleuves, etc. rien de cela n’est étonnant.
J’oubliais le pire : la manipulation d’une opinion publique française complètement abrutie du matraquage télévisé, une opinion débile quasi-unanime dressée contre lui. Mais c’est le quasi qui compte. Car un vent se lève. Et la France pourrait bien faire de nouveau parler d’elle. L’Italie aussi. La terre de France est peuplée de millions et de millions d’hommes et de femmes dont la conscience politique peut s’éveiller. Avec cette jeunesse combative, le mythe Carlos peut incurver la marche de l’Histoire. Il incarne le mythe du partisan beaucoup plus et mieux que Jean Moulin ou Guy Môquet, c’est indéniable.
CBDAE : Quelle issue du procès prévoyez-vous et quels en sont les enjeux ?
Me Viguier : Il serait naïf de penser pouvoir se défendre contre l’appareil judiciaire répressif sur son terrain et avec les armes qu’il vous choisit : autant pour le paysan au beau milieu de son champ croire échapper en courant à un bombardement aérien, ou le citadin, dans son train du soir, croire pouvoir échapper à la bombe qui est placée précisément sous son siège. Mais tout, dans le procès, est une question de terrain. Il est aussi des terrains dont l’ennemi a peur, et sur lesquels il se garde de s’engager. Ce sont, il est vrai, de véritables jungles, et seul celui qui a grandi dans la forêt, qui est chez lui dans la jungle, peut s’y engager, et y entraîner le juge. Comprenne qui pourra.
CBDAE : De façon générale, quelle est votre opinion sur le respect des Droits de l’Homme en France ? Nous avons eu notamment le cas de la récente incarcération de Vincent Reynouard, assortie de lourdes amendes, pour un livre écrit. Il n’est pas ici question de discuter le contenu de ce livre mais de souligner qu’en France et dans l’ensemble de l’Europe Occidentale, dans des pays qui se permettent de donner des leçons de Droits de l’Homme à la Chine, à l’Iran, à Cuba et à d’autres encore, on peut aller en prison pour un écrit, pour avoir défendu une thèse historique. Comme avocat, qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Me Viguier : La liberté de parler et d’écrire n’a jamais existé et n’existera jamais. Il faut se faire une raison. Il n’y a que le relatif confort bourgeois qui puisse inculquer à des classes dégénérées la croyance selon laquelle l’on devrait pouvoir tout dire et tout écrire. Il faut avoir oublié le politique, il faut sommeiller au point de n’avoir plus à fleur de peau cette sensation que le politique, la lutte, innerve la vie sociale de l’être humain, pour imaginer qu’une telle chose soit même désirable.
Le drame, quasi-eschatologique, c’est que la Liberté s’est érigée en tyran. Et c’est le pire tyran que l’on ait jamais vu. Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté. Nous en sommes là. J’affirme être un ami de la Liberté, je nie avoir besoin de vous empêcher de parler et d’écrire. Mais il suffit de vous désigner comme l’ennemi de la Liberté pour déchaîner contre vous une censure comme jamais on n’en avait vu. Et vous n’avez pas à nier ou revendiquer être l’ennemi de la Liberté. C’est l’ennemi qui vous décrète tel. Des individus et de petits groupes dissidents souffrent dans leur chair, en Occident, ce que souffrent des populations entières, ailleurs sur le globe. Ostracisme et marginalisation ici, embargos et bombardements là. Les Droits de l’Homme ne sont qu’une arme de destruction massive.
CBDAE : Un pirate de l’Antiquité, s’adressant à un tyran qui l’avait capturé, lui dit : Je commande un petit bateau et on m’appelle un pirate. Toi tu disposes de toute une flotte et on t’honore comme un grand conquérant ! Ceci rappelle aussi les propos de Ben M’hidi s’adressant à l’officier de Parachutistes qui l’avait capturé, sans doute le colonel Trinquier : Certes, nous transportons nos bombes artisanales dans des paniers, mais nous sommes prêts à échanger nos paniers pour vos bombardiers. Il se trouve précisément que le procès Carlos débute alors que les bombardiers français viennent de bombarder la Libye, tuant des centaines ou des milliers de civils que les gouvernements occidentaux prétendaient vouloir protéger de la « tyrannie » de Kadhafi, un mensonge infâme, en réalité comme en Afghanistan, comme en 1990 en Irak, pour des intérêts étrangers et même contraires à ceux du Peuple Français, les cocardes des avions français, les drapeaux flottant sur les navires français étant souillés du sang d’innocents. N’est-ce pas Nicolas SARKOZY qui devrait se trouver dans le box des accusés et quand peut-on espérer que les vrais terroristes et bourreaux de l’Humanité recevront enfin leur châtiment ? Les instances internationales adéquates existent-elles, afin qu’ils y soient traduits ?
Me Viguier : Attention ! Pardonnez-moi mais personnellement je voudrais vous répondre, toujours en tant qu’avocat, et pas spécialement en tant que défenseur d’Ilich, en distinguant nettement le cas du pirate et du tyran de tout ce que vous évoquez ensuite. Le rapprochement avec Trinquier et Sarkozy ne me satisfait pas.
Dans l’histoire du pirate, que Saint Augustin rapporte, le pirate ne nie pas être un criminel, et il traite de criminel le tyran. Mais, en réalité, si le pirate est bien un criminel, le tyran n’en est pas un. C’est très important. Le tyran n’est pas l’égal du criminel, il est légitime dans l’exercice de la force. Tandis que de nos jours, tyrans et « pirates » (terroristes, résistants ou partisans) sont tous deux légitimes, je veux dire qu’ils se battent tous pour une cause politique. Même si, certes, au plan du Droit, aucun d’eux n’est vraiment légitime, puisqu’il ne peut y avoir de légitimité au sens du Droit international sans mutuelle reconnaissance. La catastrophe de notre temps, la spirale infernale dans laquelle nous somme entrés depuis 1917 et dont nous ne sortons pas, c’est que chacun traite l’autre de pirate, de criminel, tout en croyant pouvoir s’arroger la légitimité, ce qui est absurde.
Le « pirate » traite donc le tyran de criminel, il veut lui faire un procès. Le tyran fait de même avec les « pirates ». Et le tyran, ainsi que vous le mentionnez, se comporte alors autant en pirate que le « pirate » en tyran. Les tyrans font des procès aux tyrans. Mais la négation absolue de l’Autre engendre les pires ignominies, tandis que la reconnaissance mutuelle de l’Autre comme tel, Hegel l’avait vu, contient la possibilité d’une paix réelle, jusque dans la conduite des hostilités.
Il existait, dans la noble tradition culturelle Occidentale, l’idée forte du Tribunal de l’Histoire. La postérité, pour les hommes d’Etat comme pour les artistes, est seule juge. Ces Cours pénales internationales sont des hérésies. Elles usurpent le rôle du Tribunal de l’Histoire. Elles le singent. C’est de la barbarie. Je ne défends pas ces Cours internationales. Elles sont du même acabit que la Cour d’assises spéciale devant laquelle va comparaître Ilich Ramirez Sanchez. Et remarquez que les juges sont souvent du même côté.
Je ne dis pas qu’en général il ne faut pas utiliser les armes de l’ennemi, je ne dis pas non plus qu’il ne faut pas le combattre, je dis que toutes ces Cours pénales internationales, tous ces tribunaux destinés à poursuivre la guerre par d’autres moyens, sont l’Ennemi même.
Me suis-je bien fait comprendre ? Le Procès, détourné, est une arme de guerre non-conventionnelle, la pire qui soit. C’est le moyen terroriste le plus efficace, parce qu’il touche aux tréfonds les plus intimes de la conscience humaine. Toutes les religions, même non monothéistes, parlent de cette balance dont un plateau supporte nos bonnes actions, et l’autre les mauvaises. Le Procès met en scène un drame profond. C’est pour cela que l’ennemi l’utilise comme moyen de propagande. Et Ilich est une victime parfaite pour eux. Il traverse un martyr. Son destin a quelque chose de Christique.

Mariage et parentalité homosexuels*

 

Le 28 novembre 2009, le conseil général du Jura a donné son agrément à l’adoption d’un enfant par une femme vivant notoirement avec une autre femme.
Notre droit positif s’achemine vraisemblablement vers la possibilité pour des couples de même sexe de nouer des liens de filiation avec un enfant. Il leur sera également possible, d’une manière ou d’une autre, de contracter mariage. Les questions de la filiation et du mariage forment en vérité une seule et même question dans la mesure où, traditionnellement, la raison d’être du mariage d’un homme et d’une femme est d’instituer un rapport de filiation légitime de l’homme à l’enfant ; autrement dit, la paternité est, selon cette optique, le but du mariage. Cette évolution est, avons-nous dit, vraisemblable. Nous en avons pris le chemin en doctrine et, avec le Pacs, en législation. Il s’agit d’un phénomène d’ampleur internationale qui concerne au premier chef les sociétés occidentales. Le cap de l’adoption et du mariage pour couples homosexuels est déjà franchi dans nombre de pays européens. À moins d’une incurvation du sens de l’Histoire dont nous ne percevons encore aucun signe tangible, il le sera aussi en France, en législation ou en jurisprudence.
L’égalité juridique des sexes a rendu possibles mariage et parentalité homosexuels
Cette évolution n’est pas une révolution brutale et soudaine. Le terrain juridique y a été préparé de longue date. Je veux dire qu’une union entre deux hommes ou entre deux femmes, de même qu’un rapport de parenté entre un enfant et deux personnes de même sexe, rien de tout de cela n’eût été possible à une époque où les rôles juridiques étaient clairement distincts d’un sexe à l’autre. On peut le dire sans craindre de se tromper : l’édifice traditionnel du droit de la famille reposait sur la distinction des sexes. Les règles de dévolution du nom et des biens n’étaient pas les mêmes pour un homme et pour une femme. Seul l’homme jouissait, encore au XIXe siècle, de la fameuse trinité des puissances : maritale, sur son épouse, paternelle, sur ses enfants, tutélaire, sur ses pupilles. Et, jusqu’en 1965, dans le mariage, en matière patrimoniale, régime de communauté ou régime dotal, les droits et les pouvoirs du mari et de la femme étaient tout sauf symétriques.
Dans un tel contexte, l’association de deux hommes ou de deux femmes, que ce soit pour le mariage ou pour la parenté commune, eût été impensable. Les statuts étaient en quelque sorte sexués : les institutions reposant sur une distinction des sexes, il eût fallu, à l’un ou à l’autre des deux membres du rapport, jouer le rôle du sexe opposé au sien. Cela eût signifié qu’un individu transgressait de sa seule volonté l’état que l’ordre juridique lui assignait. Homme, il eût joué le rôle d’une femme ; femme, elle eût joué le rôle d’un homme. Or on ne choisit pas son état. L’anatomie avait donc des conséquences juridiques indépassables. C’est par conséquent l’égalité juridique des sexes qui a rendu possibles mariage et parentalité homosexuels. L’égalisation des statuts a été le préalable nécessaire des évolutions auxquelles nous assistons ces dix ou vingt dernières années. Autrement dit, l’homosexualité juridique a préparé le terrain de l’homosexualité réelle. Que ce soit en matière successorale, matrimoniale, de filiation, etc., le sexe de la personne est devenu indifférent. Les rôles qui se jouaient entre deux sexes peuvent alors se jouer indifféremment entre personnes de même sexe. Le passage de la paternité à la parentalité (loi du 4 juin 1970 intitulant « De l’autorité parentale », au lieu de « De la puissance paternelle », le titre IX du Livre 1er du Code civil), pour prendre un exemple, autorise à lui seul que les deux parents soient de même sexe. Nombre de ceux qui s’alarment aujourd’hui du cours que prennent les choses ne voient pas qu’en droit positif tout s’est déjà joué.
C’est exactement le même phénomène qui explique que l’on ait fini par satisfaire les revendications des transsexuels. Il est remarquable que leur reconnaissance juridique soit contemporaine de la montée en puissance de l’égalité entre hommes et femmes. Là aussi, tant qu’une importante différence de régime restait attachée à l’anatomie de l’individu, il n’était pas acceptable que l’on puisse volontairement transgresser son état. Mais dès lors qu’il ne subsiste plus comme différence qu’un chiffre sur les registres de la Sécurité sociale, ou le genre d’un prénom, le changement de sexe n’a réellement plus de portée juridique. Aucune distinction, aucun critère ne demeure juridique lorsqu’une distinction de régime n’y est plus attachée.
Et notons encore, autre marqueur de la même évolution, que dans le temps même où les transsexuels commençaient d’être reconnus par le droit, le cas de l’hermaphrodite perdait, mais pour la même raison, toute pertinence. En effet, ce cas a retenu pendant des siècles l’attention des juristes. Parce que les conséquences attachées à la distinction des sexes mâle et femelle étaient telles, et ce critère du sexe formait à ce point la pierre de touche de tout l’ordre civil, qu’il était absolument indispensable de déterminer la catégorie à laquelle rattacher l’individu, fût-ce, dans le cas difficile de l’hermaphrodite, au prix d’une présomption. Aujourd’hui, au contraire, ce cas n’est même plus étudié à l’Université. Au regard de notre droit positif, c’est bien plutôt l’hermaphrodite, jadis considéré comme une monstrueuse aberration de la nature, qui pourrait faire figure de cas normal.
*Initialement paru dans Droit et Patrimoine, n°189, février 2010, p.20-21...

Critique de l’Ordonnance Dieudonné du 9 janvier 2014

Pour E&R par Damien Viguier, avocat à la Cour et docteur en droit

Le conseiller d’État, pour annuler le jugement administratif qui suspendait l’arrêté pris par le préfet interdisant un spectacle de l’humoriste Dieudonné, retient qu’en fait ce spectacle contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Il faut distinguer trois fondements invoqués pour interdire ce spectacle, seuls les deux premiers sont retenus par le Conseil d’État. Ils sont tous deux discutables, pour des raisons distinctes. Le troisième, tellement aberrant, est écarté. Nous terminerons sur une remarque.

1. Premier fondement d’interdiction : risque de trouble à l’ordre public
L’Ordonnance du Conseil énonce que « les réactions à la tenue du spectacle font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l’ordre public qu’il serait très difficile aux forces de police de maîtriser ». « La réalité et la gravité, est-il ajouté, des risques de troubles à l’ordre public mentionnés par l’arrêté litigieux, sont établies tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l’audience publique. »
Critique. Il s’agit du fondement classique d’une interdiction. En droit il n’est pas discutable. Mais en fait l’on voit mal de quelle réalité il s’agit. Sinon une allusion à l’appel lancé par un autre conseiller d’État, de se rendre sur place, et de créer du trouble, afin que le risque soit enfin reconnu. À moins qu’il ne s’agisse de la réaction du ministre de l’Intérieur lui-même. On peut critiquer, mais l’appréciation des faits relève de la souveraineté de celui qui décide.

2. Deuxième fondement : méconnaissance des principes au respect desquels il incombe aux autorités de l’État de veiller
L’Ordonnance énonce que « les propos de ce spectacle qui font l’apologie des faits perpétrés aux cours de la Seconde Guerre mondiale méconnaissent la dignité de la personne humaine. Au regard du spectacle prévu, tel qu’il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine. »
Critique. Ici, à l’inverse de précédemment, la réalité du fait n’est peut-être pas discutable, mais en droit le fondement est contestable. Il s’agit d’une référence à l’arrêt dit du Lancer de Nain. C’est un autre cas de trouble à l’ordre public que celui traditionnellement défini par la trinité « sécurité, tranquillité, salubrité ». Une atteinte à la dignité de la personne humaine cause en soi un trouble à l’ordre public suffisant pour justifier une atteinte aux libertés. Cette jurisprudence avait fait l’objet de vives critiques en doctrine, et c’est la seconde fois qu’elle est appliquée par une juridiction française (une décision européenne avait eu à sanctionner des pratiques sado-masochistes entre partenaires pourtant tous consentants). C’est ce fondement qui fait l’objet des plus graves critiques.

3. Troisième fondement : éviter que des infractions pénales soient commises
On note enfin que « M. Dieudonné M’Bala M’Bala a fait l’objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature ». Et l’on ajoute « qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ».
Critique. Ce fondement de l’arrêté préfectoral n’est pas retenu par le Conseil d’État, qui ne le sanctionne pas non plus expressément. Pourtant il s’agit du chef le plus attentatoire aux libertés. Si la commission de certaines infractions peut troubler l’ordre public, cette commission peut, mais uniquement à ce dernier titre, faire l’objet d’une mesure de police administrative. Mais cette mesure ne se fonde jamais sur le seul caractère répréhensible des actes. C’est un dogme de la liberté que l’État laisse même aux citoyens la liberté de commettre des infractions, quitte à les arrêter dès la tentative avérée de cette commission, mais au titre de la police judiciaire, et non administrative. Il y a dans l’invocation de pareils motifs une dérive inquiétante.

4. Remarque : Dieudonné et Monsieur M’Bala M’Bala
Il est remarquable que le ministre français de l’Intérieur, ainsi que de nombreux intervenants hostiles à l’humoriste, usent depuis quelques temps des appellations de « Dieudonné M’Bala M’Bala » ou de « Monsieur M’Bala M’Bala », mais jamais plus de « Dieudonné ». La différence est abyssale. Cela va de pair avec le fait de dire qu’il ne s’agit pas de spectacle artistique mais de meeting politique.
En effet, « Dieudonné » est le nom de scène de l’humoriste, tandis que « Dieudonné M’Bala M’Bala » son prénom et son nom selon l’état civil. Or, lorsque « Dieudonné » tient un propos antisémite ce n’est pas la même chose que lorsque c’est « Monsieur M’Bala M’Bala » qui le fait.
Dans le premier cas il s’agit d’une fiction, soit que l’acteur joue un personnage imaginaire (l’auteur en dispose d’une riche galerie), soit qu’il imite une personne réelle pour lui faire tenir des propos imaginaires (fût-ce Adolf Hitler), soit même que l’acteur joue son propre personnage, celui d’un comique (comme lorsqu’il se présente comme ayant rejoint l’axe américano-sioniste). Quoi qu’il dise, il s’agit de fiction, et aucune infraction ne peut être relevée, ni aucune atteinte porté à une liberté de création artistique qu’en France depuis Molière on tient pour sacrée.
Il en va tout autrement dans le second cas, si c’est le particulier, la personne privée elle-même qui s’exprime. En l’absence de jeu, le propos sera imputé à l’homme, on pourra lui en tenir rigueur.
D’où vient la difficulté ? Non pas du contenu en soi des propos tenus (s’ils l’étaient clairement par un personnage, il n’y aurait pas de difficulté). L’incompréhension provient de ce que Dieudonné, l’artiste Dieudonné, se joue précisément de cette distinction entre réalité et fiction, il joue avec la limite entre les deux. Ce faisant il réalise, en la forme, si ce n’est dans le fond, une performance absolument typique de l’art contemporain. Alain Soral avait été le seul à le noter jadis.

Sur la plainte contre laurent Fabius

Entretien donné à Paris le 13 février 2014, au sujet des évènements de Syrie et de leurs liens avec la France.