"Un compte rendu de cet ordre devrait embrasser également l'évolution des conceptions relatives au crime politique et à l'asile politique, à la justiciabilité des actes politiques et des décisions politiques prises selon une procédure judiciaire ; il devrait inclure jusqu'à la question de fond, celle du procès en justice proprement dit, c'est-à-dire examiner dans quelle mesure la procédure judiciaire en tant que telle modifie à elle seule la matière de son objet en la faisant passer à un autre état."

Carl Schmitt, préface à La notion de politique (1963).

vendredi 13 juin 2014

Qualifié de « groupuscule néonazi », le Parti Solidaire Français de Thomas WERLET poursuit le quotidien L’Humanité au pénal



Pour aller plus loin.

Les propos incriminés figurent dans un article, qui visait principalement Dieudonné et le Théâtre de la Main d’Or, et signé Jean-Yves CAMUS (ce dernier pour sa part s’est rétracté, et par conséquent ne sera pas poursuivi par le PSF). Il peut n’être pas inutile de rappeler le contexte dans lequel est paru l’article en cause, le 17 janvier 2014.
            Le lecteur se souvient sans doute de la journée du 9 janvier 2014. « Le Mur » était programmé pour le soir-même, à Nantes. Le matin le Tribunal administratif annulait l’arrêté du Préfet, qui, appliquant la circulaire Valls rendue six jours avant et dirigée directement contre un Dieudonné accusé d’antisémitisme, venait d’interdire le spectacle. Quelques heures après, dans un de ses maelströms qui marquent un moment historique, le Conseil d’Etat invalidait l’ordonnance du Tribunal, ce qui, par réaction, redonnait force à l’arrêté préfectoral : Valls triomphait. Depuis des mois, et allant crescendo jusqu’en décembre, le son du cor lançait la grande meute des médias mainstream sur l’artiste. Le soir du 9, on tenait l’hallali pour très proche. Et dans les jours qui suivirent, se fut la curée.
L’article incriminé a participé de cette chasse à l’homme. Il est bon, le calme (provisoirement) revenu, d’envisager de plus près un détail de l’évènement, et d’observer le travail de nos médias. Dans une manière d’exercice d’école (de journalisme), selon la forme des cases studies. Où l’on pourra voir quel son, isolés du brouhaha de la meute, rendent les aboiements du chien isolé.
Le théâtre de la Main d’or utilisé à des fins antisémites
            L’article a pour titre : « L’entrepreneur de meetings politiques n’est qu’un faux ami de la liberté d’expression ». Commençons précisément par ce titre. Comme je l’ai déjà expliqué ailleurs, il sonne comme une condamnation à mort pour l’humoriste Dieudonné. En effet, lorsque Dieudonné est Dieudonné l’artiste, tout lui est permis. L’Art excuse tout. C’est la magie de la fiction. Tandis que sorti du spectacle, retombé dans le monde réel, chaque fait peut être imputé à reproche à son auteur.
            Seul nous retiendra ici le deuxième alinéa, l’alinéa central de l’article. Il vise à en justifier le titre. La même formule y figure d’ailleurs (« Dieudonné est désormais un entrepreneur de meetings politiques »), et tout le sens de cet alinéa est de démontrer que Dieudonné n’est vraiment plus un artiste, mais, donc, un entrepreneur de meetings politiques.
            Et Jean-Yves Camus, l’auteur de l’article, énonce trois catégories de faits censés justifier son propos : 1°) la répétition de propos antijuifs, 2°) la présence aux représentations de figures connues des droites radicales, et 3°) la licence donnée à d’autres antisémites avérés d’utiliser le théâtre pour y distiller leur message.
            De ces trois éléments, seul le dernier est important. Le premier peut passer lorsque l’artiste joue sur scène le personnage d’Hitler, un fou furieux ou un quelconque antisémite. Le second est puéril : si une figure des droites radicales paie sa place, rien ne lui interdit de se rendre aux spectacles, qui restent des spectacles. En outre, ces deux genres de faits n’ont qu’un rapport lâche avec le propos central.
Le troisième, en revanche, est crucial. Les mots employés, d’ailleurs, ainsi que l’usage qui en est fait, ne laissent aucun doute : nous sommes au cœur de l’article. L’auteur y joue sur les mots : la « licence », c’est à la fois la permission, l’autorisation et le pire dévergondage. « Distiller », pour un message, est péjoratif, la haine se distille, plutôt que l’amitié ou l’amour. Et, surtout, le mot « antisémite » est lancé. Même le fait de parler d’« autres » antisémites suggère que ceux qui viennent sont pires que Dieudonné lui-même.
Le meeting néonazi
Mais l’auteur n’invoque, pour étayer son grave propos, qu’un seul fait précis et circonstancié :
Le 10 janvier, les néonazis du Parti solidaire français ont projeté au Théâtre de la Main d’or un film coproduit par la chaîne de télévision iranienne Sahar TV, interdite en France par le CSA dès 2005.
La phrase est ressentie à la lecture comme destinée à servir d’illustration et d’argument massue au propos qui la précède. Le lien est évident entre le PSF et ses antisémites qui distillent leur message.
Rien d’autre. Le cœur de l’article était bien là. Peut-être serait-il bon, alors, d’y regarder d’un peu plus près. Et de rétablir la vérité sur le fait du 10 janvier (le lendemain du 9, donc en pleine crise) et sur ses acteurs. Admirons la technique de manipulation : elle tient autant aux vérités omises qu’aux mensonges proférés.
En fait de meeting il s’agissait de la projection, suivie d’un débat, d’un film réalisé par une classe d’étudiants en art cinématographique de l’Université d’Isphahan en Iran. Le film, que l’on peut visionner sur internet, porte sur l’Irak occupé par l’armée US. Qu’on le regarde, et qu’on en juge. Il appartient incontestablement au cinéma d’auteur et n’a rien à voir avec une sous-production idéologique. De cela, rien n’est dit. On laisse le lecteur imaginer le pire.
Le film avait été déjà projeté lors d’un festival cinématographique à Téhéran. Mais rien ne permettait de dire qu’il avait été produit ou même coproduit par SAHAR TV (et quand bien même !). Et ce n’était même pas le Parti Solidaire Français qui organisait cette projection, mais le National Emancipé (organe de presse du précédent, il est vrai, mais soyons précis).
Quant audit PSF, ses membres se sont sentis dénigrés d’être qualifiés de néonazis. Expression surprenante, au demeurant, sous la plume d’un chercheur en sciences sociales. Mais peut-être l’auteur voudra-t-il préciser l’extension qu’il entend donner à ce concept, ainsi que ce qu’il croit que sont réellement les membres du PSF… désigné aussi de l’expression de « groupuscule de ce genre », qui est méprisante, on en conviendra. Thomas WERLET, son président, a donc choisi de conduire L’Humanité devant les tribunaux.

Damien VIGUIER

Avocat à la Cour – Docteur en Droit

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